La lutte pour la présidence de l’Assemblée nationale se joue entre Adama Bictogo et toute une région incarnée par Zoumana Bakayoko
Alors qu’on croyait le poste promis d’office à son intérimaire, la disparition du Président de l’Assemblée nationale, Amadou Soumahoro, a fait naître une opposition à la perspective de voir cette succession « naturelle » se réaliser. Et c’est toute une région, le Worodougou, qui se dresse désormais comme un seul homme pour empêcher le puissant Secrétaire Exécutif du RHDP – Adama Bictogo – de succéder au fils de la « contrée de la cola » (NDLR : traduction de Worodougou).
La logique voudrait qu’Adama Bictogo succède à Amadou Soumahoro, et tout le monde croyait la succession au perchoir réglée depuis belle lurette. En effet, et selon mes sources très haut placées, depuis l’installation de l’actuelle Assemblée nationale l’année dernière, le président de la République – sachant Amadou Soumahoro atteint d’un cancer qui le condamnait irrémédiablement – avait souhaité faire élire Adama Bictogo au perchoir.
Mais finalement, face aux lamentations d’Amadou Soumahoro, Alassane Ouattara se serait résolu à ne pas être accusé d’avoir précipité sa mort en lui retirant la présidence de l’Assemblée nationale à laquelle il tenait beaucoup. Mais à ce moment-là déjà, toujours d’après mes sources très introduites, et même si cela n’a pas été clairement dit, par pudeur, Adama Bictogo n’attendait que la mort inéluctable d’Amadou Soumahoro pour prendre le relais.
Alors que l’état de santé d’Amadou Soumahoro se détériorait à vue d’œil, il était clair pour tous les députés du parti majoritaire – le RHDP – qu’Adama Bictogo était une sorte de président de l’Assemblée nationale en attente. Il m’a d’ailleurs été rapporté que dans l’entourage du Secrétaire Exécutif du parti présidentiel, on plaisantait souvent sur son statut de « PAN en attente ».
Même si Adama Bictogo est reconnu pour son engagement pour la promotion de la vision politique du président Ouattara, d’où le poste hautement stratégique de Secrétaire Exécutif qu’il occupe au sein du RHDP, des hauts dignitaires du parti avec lesquels je me suis entretenu estiment que le président Ouattara ne devrait pas avoir d’état d’âme et qu’il ne doit se laisser guider que par une forme de réalisme politique.
Le poids d’Agboville – ville natale d’Adama Bictogo dont il est le député – dans l’électorat du RHDP est marginal, surtout lorsqu’on le compare avec celui du Worodougou. Cette région du Centre-Ouest, essentiellement peuplée de Koyakas, est, avec Odienné et le groupe Sénoufo concentré autour de Korhogo, les trois principaux fiefs électoraux de la majorité présidentielle.
D’après mes différentes sources, depuis l’annonce du décès d’Amadou Soumahoro, les cadres du Worodougou ont lancé des concertations informelles autour de la succession au perchoir avec un mot d’ordre : « le Worodougou doit garder la présidence de l’Assemblée nationale ».
Selon mes informations, les cadres du Worodougou semblent avoir porté leur choix sur le député de Séguéla, Zoumana Bakayoko, par ailleurs frère ainé du très populaire ex-Premier ministre Hamed Bakayoko. Et ce n’est pas le seul atout de cet homme d’affaires prospère. Ancien député du Plateau (Abidjan), cet ingénieur avait décidé il y a quelques années de s’éloigner de la politique pour s’occuper de ses affaires, avant d’être rappelé par le président de la République qui lui a demandé de reprendre le siège de député de son cadet, en se présentant à la législative partielle de l’année dernière.
Zoumana Bakayoko ne manque par ailleurs pas de références au sein du parti Ouattariste d’alors, le RDR, dont il est un des membres actifs depuis sa création dans un contexte de très forte adversité imposée par le PDCI d’Henri Konan Bédié.
Dans le Worodougou, on soutient que le perchoir devrait rester dans la région, d’autant plus que la perte d’Ahmed Bakayoko et la Primature qu’il occupait avait été vécue comme un double deuil dans la région : celle de la disparition de l’icône qui faisait la fierté de toute la zone, mais également celle de voir la Primature leur échapper. Si la douleur de la perte d’Amadou Soumahoro devrait, elle aussi, s’accompagner de la tristesse de voir leur être retirée une autre grande institution, cela ne serait pas bien perçu par les populations. Axé autour de ces éléments de langage, un discret, mais insistant lobbying devrait être mis en branle après le « 7ème Jour » des obsèques, prévu le dimanche 15 mai 2022.
D’après mes sources, il ne devrait pas y avoir de déclaration officielle, sauf si ce n’est de groupuscules auxquels on ne saurait associer ceux qui sont investis de la légitimité pour s’exprimer au nom de la région. Mais les autorités coutumières de la région, les leaders religieux du Worodougou, des cadres et mêmes d’autres personnalités influentes non-originaires seront sollicitées pour mieux faire apprécier, au président Ouattara, les enjeux à permettre à un fils du Worodougou de prendre le relais au perchoir.
Ces derniers temps, la perte d’un de ses fidèles lieutenants a souvent amené le président ivoirien à faire des difficiles arbitrages. Lorsqu’il avait décidé de se présenter, à sa propre succession, à la suite de la disparition de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, la pilule avait été difficile à avaler par les partisans de son « Golden Boy » qui estimaient qu’il aurait été plus convenable qu’il adoube plutôt Ahmed Bakayoko. Mais le temps lui a donné raison dans ce choix, puisqu’autrement le pays – encore fragile – aurait été plongé dans une profonde incertitude s’il avait dû faire face à la disparition d’un président de la République juste quelques mois après son élection.
Cette fois-ci, quel que soit son choix pour le perchoir, Alassane Ouattara fera des mécontents. Plusieurs hauts cadres du parti parient que le président Ouattara, en fin tacticien, décidera de sacrifier celui dont la non-désignation fera le moins de mal à sa formation, à quelques mois des élections locales prévues l’année prochaine.
Ce qui est vrai, est vrai !