Bernard Houdin se prononce sur l’article du 17 novembre 2020, Renaud Girard, reporter au Figaro, sur la président Ouattara.
Le 5 mai 2015, dans une chronique publiée dans Le Figaro, sous le titre évocateur « L’urgence de l’état de droit en Afrique » un journaliste français nous fait part de ses réflexions alors qu’il traverse la province congolaise du Katanga, qui fut la « pépite » de la colonisation belge au temps où y régnait impérialement la fameuse Union minière du Haut Katanga.
Et il s’interroge : «Pourquoi les investisseurs ne se ruent-ils pas sur ce pays de cocagne ? Parce qu’ils n’ont pas confiance. Pourquoi n’ont-ils pas confiance ? Parce ce qu’il n’y a pas d’état de droit dans la République Démocratique du Congo de Kabila fils qui accumule les défauts d’une dictature prédatrice ».
Il donne sa clé de lecture: « En République Démocratique du Congo, le président Joseph Kabila cherche tous les artifices pour ne pas respecter sa Constitution et prolonger, en 2016, son pouvoir au-delà de ses deux mandats échus. Il a tort. » Et il conclue de façon péremptoire : « Les migrants qui prennent aujourd’hui tous les risques pour traverser la Méditerranée ne le font pas que pour fuir la misère. C’est aussi à l’arbitraire de leurs dirigeants qu’ils veulent échapper ».
Cinq ans plus tard ce constat s’applique à la Côte d’Ivoire sans en changer un iota ! Problème : le journaliste qui avait rédigé cette chronique sans appel se nomme Renaud Girard. Celui-là même qui vient de commettre, toujours dans Le Figaro, dans le numéro du 17 novembre dernier, un article et une chronique proprement hallucinants sur la situation actuelle en Côte d’Ivoire, née justement du non-respect de l’état de droit par le président sortant Alassane Dramane Ouattara !
Renaud Girard est un journaliste chevronné, qui a bourlingué, au parcours académique brillant qui démontre qu’il est capable de faire preuve de discernement et qui prouve que ses facultés intellectuelles devraient, à priori, lui éviter les écueils les plus flagrants des dysfonctionnements de nos sociétés. Hélas, patatras ! Ses écrits, dans le quotidien favori des classes dirigeantes françaises, sont d’une indigence insigne, tant sur la forme que sur le fond, pour un journaliste digne de ce nom et flirtent avec les pires bassesses de l’information de complaisance et de connivence.
J’ai parcouru attentivement ces deux papiers qui, au-delà d’une banale désinformation alimentée par une « guerre de la communication » à laquelle Girard se sera, à son détriment futur, maladroitement prêté, dévoile une méconnaissance abyssale de la réalité ivoirienne.
Ironie du sort, dans sa quête fiévreuse d’assener « la vérité » sur une Côte d’Ivoire « idyllique » sous le règne éclairé d’ADO et emporté par son élan, il commet un aveu public que tous les Ivoiriens n’ont cessé de dénoncer depuis dix ans : en 2011, comme Gbagbo «s’accrochait au pouvoir, Sarkozy ordonna aux soldats français de le déloger »… au moins, ça c’est dit !
La Côte d’Ivoire que Renaud Girard veut nous vendre est celle qui « repart du bon pied »… De quel « pied » parle t’il ? De celui qui a frappé dans la tête sanglante du pauvre Koffi Toussaint décapité par la milice d’ADO ? De quelle Côte d’Ivoire parle t-il , celle où « la guerre civile n’a pas eu lieu » en évoquant les « heurts » survenus à M’Batto, petite localité du Centre-Est du pays ?
Il veut nous faire croire que les habitants de cette bourgade paisible en temps normal se sont brusquement enflammés dans des affrontements intercommunautaires (dont la responsabilité initiale est, bien sûr, à porter au débit des opposants au président), alors qu’il est de notoriété publique que les troubles ont été provoqués par les milices du régime, ce que vient de confirmer le dernier rapport d’Amnesty International.
Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. Sa justification du sacrifice apparent consenti par le président sortant de faire ce don de soi pour maintenir la Côte d’Ivoire sur de bons rails, alors que le décès du « dauphin adoubé » venait de pulvériser le schéma bien établi d’une succession maitrisée, ressort plus du scenario d’un roman de gare pour gogos ignorants des réalités que de l’analyse que l’on pourrait attendre d’un expert averti. L’argument principal assené est pitoyable en soi et jette le discrédit sur un personnage qui, dans son cursus, a été tout de même professeur « de stratégie, de géostratégie et de relations internationales » à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, le fameux SciencesPo .
Moment ahurissant dans le débat du « 3 ème mandat », il écrit sans vergogne : « jugeant que la volte-face du patron (sic-lapsus révélateur ?) équivalait à une tricherie dans le grand d jeu de l’Oie du pouvoir, ils ont eux aussi pris des libertés avec les règles du jeu démocratique. Tous ont appelé à la désobéissance civile ».
Décryptons : un journaliste expérimenté, Enarque, Normalien, ayant enseigné dans un des lieux où l’on formate les futures élites, traite trivialement un sujet au cœur de la Loi Fondamentale de tout pays digne de ce nom en tentant de justifier le viol pur et simple de la Constitution par, circonstance aggravante, son garant, en indexant des « libertés » qu’auraient pris les défenseurs de cette même Constitution ! « lls ont appelé à la « désobéissance civile »…. ! Quelle horreur !
Dois-je rappeler à notre éminent donneur de leçons que, pour rester dans la période contemporaine, les appels les plus entendus à la désobéissance civile sont venues du Mahatma Gandhi et du pasteur Martin Luther King qui auraient ainsi, si l’on suit son raisonnement ébouriffant, « pris des libertés avec les règles du jeu démocratique ». Le ridicule ne tue plus, heureusement pour lui…
Il en vient, enfin, au sublime : « Ouattara a vite compris que sa victoire dégageait une vilaine odeur, alors qu’il estimait qu’il s’était sacrifié en restant à son poste. Il a compris le risque qu’il courait de tomber, aux yeux de l’opinion internationale, dans la catégorie de ces autocrates à la Alpha Condé qui instrumentalisent les rivalités ethniques et restent incapables de développer leur pays ».
Et d’énumérer les « prodiges » de Ouattara pour échapper à ce risque. Ainsi, entre autres initiatives, « il invita HKB (Bédié) à un tête-à-tête à l’Hôtel du Golf , lieu symbolique où Ouattara s’était réfugié en 2010-2011 sous la protection des marsouins français. Il fit établir un passeport diplomatique pour son ancien ennemi Gbagbo, innocenté à La Haye… »
Et de conclure que « l’apaisement a marché. Il est clair que la Côte d’Ivoire, où je viens de parcourir 1200 kms en 4×4, sur la piste comme sur le goudron, a surmonté ses tensions électorales… » !
Renaud Girard va me pardonner mais je vais devoir rectifier cette invraisemblable et lénifiante description d’un pays désormais au bord de l’implosion.
Renaud Girard devrait savoir (en fait il le sait, sans doute, mais son « engagement » fait fi de toute valeur morale), que depuis dix ans Ouattara pratique une politique de « rattrapage ethnique », selon ses propres termes, et que sa gestion du pays a placé la Côte d’Ivoire au 165 ème rang à l’Indice de Développement Humain (IDH), véritable mesure de la place d’un pays selon le PNUD qui publie cet indice chaque année, ce qui le qualifie aisément pour entrer dans la catégorie des « autocrates « tant décriés par notre expert-chroniqueur.
De plus, à la date d’aujourd’hui, Laurent Gbagbo n’a toujours pas reçu son passeport et qu’en tout état de cause cette délivrance d’un document qui lui revient de droit ne peut figurer au crédit, à quelque titre que ce soit, du président-sortant.
Enfin, si HKB n’a pas refusé une rencontre avec celui qui est à l’origine des troubles et des menaces qui bouchent l’horizon politique, économique et social du pays, celle-ci restera anecdotique tant que Ouattara n’aura pas créé les conditions de futures négociations en répondant aux préalables définis par toute la classe politique, hors RDR, en commençant par libérer tous les prisonniers politiques et à renoncer à pourchasser les opposants de tous bords, hommes politiques, syndicalistes, membres de la Société Civile.
Nous sommes loin du compte, la situation présente de la Côte d’Ivoire est très loin du « publi-reportage » qu’a commis Renaud Girard et on peut légitimement s’interroger sur les véritables motivations de ces publications.
Il faut savoir que quatre jours avant ce « tir de barrage » effectué pour défendre une cause bien mal engagée, ce même journal, sous la plume d’un de ses journalistes-vedettes, Yves Threard, avait écrit à propos de la « réélection » de Ouattara : « ce scrutin tronqué a été dénoncé par la plupart des observateurs internationaux indépendants. Le taux de participation revendiqué par le pouvoir (54 %) serait, en fait, inférieur à 10 %. La rue crie au hold-up. Les opposants vocifèrent… »
La teneur générale de cet article était, d’ailleurs, le reflet d’un phénomène nouveau dans la presse internationale, et pas seulement française, sur la vraie nature du régime en place en Côte d’Ivoire et sur l’image désormais très altérée du président-sortant.
Ainsi l’opération « Renaud Girard » serait une tentative certainement désespérée, de sauver « le soldat Ouattara »… Je crains, pour lui, que son temps soit passé et que Renaud Girard aura joué dans cette balade de « 1200 kms en 4×4 » un remake peu sympathique de « Tintin au Congo ».