À un mois de la présidentielle ivoirienne, International Crisis Group appelle au retour en Côte d’Ivoire de Soro et de Gbagbo.
Il ne reste que quelques jours à ces forces politiques antagonistes pour s’accorder sur un report de l’élection, que les conditions actuelles ne permettront pas de tenir dans le calme. Plusieurs personnalités politiques et civiles ivoiriennes et africaines ainsi que des membres de la communauté internationale estiment, en public ou en privé, qu’un report est nécessaire pour éviter que la logique de confrontation actuelle ne mène à de graves violences. Ce report devrait permettre l’organisation d’un large dialogue visant à apurer une partie du contentieux, notamment concernant la composition de la CEI, la révision du fichier électoral, les modalités d’un retour des exilés politiques et le sort de certains de leurs partisans, toujours emprisonnés.
Pour que ce dialogue soit fructueux, l’opposition devrait accepter de faire des concessions réalistes à partir de la longue liste d’exigences qu’elle a rendue publique le 20 septembre dernier. La révision et le rééquilibrage de la CEI, notamment de ses commissions locales, dont l’opposition estime qu’elles sont majoritairement composées de membres proches du pouvoir, semblent plus réalistes que la dissolution pure et simple qu’exige l’opposition. De son côté, le pouvoir devrait aller plus loin dans la libération des prisonniers politiques en rendant leur liberté à l’ensemble des partisans de Guillaume Soro et des autres courants politiques qui sont encore en détention, parmi lesquels figurent plusieurs députés.
Le retour en Côte d’Ivoire de Guillaume Soro et de Laurent Gbagbo, en vertu des récentes décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), serait un geste capable d’apaiser le lourd climat actuel. Le retour de Guillaume Soro permettrait notamment d’éviter d’attiser l’animosité au nord du pays entre ses partisans et ceux de Ouattara, et de créer de nouvelles fractures dans le pays. Plus largement, ce dialogue devrait permettre de rééquilibrer les règles du jeu électoral en garantissant à chacun une réelle chance de gagner.
Ce report, dont la durée devra être déterminée par les différents participants au dialogue, ne devrait pas être fixé après le 13 décembre 2020, date à laquelle le président élu doit prêter serment, et ce afin d’éviter une vacance du pouvoir. Le dialogue entre les parties devrait intégrer les courants politiques qui pour le moment ne participent pas directement à la présidentielle, notamment ceux représentés par Laurent Gbagbo et Guillaume Soro.
Enfin, il devrait représenter, pour les trois personnalités ivoiriennes qui s’affrontent depuis 1995, une occasion d’envisager sérieusement un passage de relais à une nouvelle génération de femmes et d’hommes, sans doute mieux placés pour conduire une réconciliation et une réforme profonde des institutions au cours de la décennie qui s’ouvre. Même si cette nouvelle génération a pu être spectatrice, voire actrice des presque trois décennies de crise ivoirienne, elle est moins marquée par les querelles individuelles qui se sont accumulées entre ces trois hommes depuis un quart de siècle.
Dans un contexte où de nombreuses personnalités ivoiriennes comprennent de plus en plus difficilement que les partenaires occidentaux arbitrent leurs désaccords 60 ans après les indépendances, la diplomatie africaine est aujourd’hui la mieux placée pour soutenir ces efforts de dialogue. Le format de la mission conjointe entre la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine (UA) et les Nations unies qui devait séjourner à Abidjan du 21 au 25 septembre a été modifié, à la demande des autorités ivoiriennes. Finalement, seules les Nations unies se sont rendues en Côte d’Ivoire.
Il serait bon que les autorités ivoiriennes reconsidèrent leur position et acceptent, au plus vite, un accompagnement régional et continental sous la forme d’une délégation réunissant ces trois institutions. D’autres acteurs africains, dirigeants de pays voisins, chefs d’Etats ayant volontairement quitté le pouvoir ou responsables d’institutions internationales comme l’Organisation internationale de la Francophonie pourraient, elles aussi, intervenir. Leur objectif serait de convaincre les protagonistes de la crise ivoirienne de s’entendre sur un report concerté de l’élection et l’organisation d’un dialogue national.
Si rien ne change et que le scrutin se tient malgré tout dans les conditions de défiance actuelles, le vainqueur souffrirait presque inévitablement d’un déficit de légitimité aux yeux de ses opposants et d’une partie de la population. Il serait, dans tous les cas, un président mal élu, issu d’un scrutin qui sera peut-être boycotté par certains ou, pour le moins, dont les règles seront rejetées par la quasi-totalité de ses adversaires.
Le vainqueur pourra difficilement se présenter comme le président de tous les Ivoiriens et héritera d’un pays extrêmement difficile à gouverner. Les effets du tour de vis sécuritaire qu’il pourrait être tenté de mettre en place pour asseoir son pouvoir et l’exclusion de plusieurs courants et figures majeurs de la vie politique risquent, à un moment ou à un autre, de provoquer des violences politiques et intercommunautaires. Dans un contexte régional et économique tendu, il devra, en outre, gérer les conséquences d’une nouvelle crise sur des forces de sécurité dont l’unité reste fragile et réactive aux tensions politiques.