Réveillé au petit matin le 14 juin 2019 de fort bonne humeur à Rabat, je m’attendais à ce qu’on m’informât de l’état d’évolution des préparatifs de notre session régionale Afrique de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF). Mais, une sorte de silence suspect flottait dans l’air.

Le Président Habib El Malki de la Chambre des Représentants du Maroc était de retour du Nigeria, m’avait-on assuré. Il aurait dû m’appeler déjà, à tout le moins, comme cela se fait lorsqu’on accueille un invité politique d’un pays étranger chez soi. Mais jusqu’à 11 heures voire 12 heures, rien ne semblait poindre à l’horizon. Vous avez dit bizarre ?

Je m’interrogeai de plus en plus sur ce manque notoire de courtoisie inhabituelle en terre marocaine. Un heureux coup de fil vint m’informer que les secrétaires généraux parlementaire et administratif de l’APF (mes collègues et collaborateurs du Bureau de l’APF) le député Jacques Krabal et M. Emmanuel Maury seraient, quant à eux, déjà en concertation avec notre hôte et mon successeur Amadou Soumahoro. 

Diantre, de quelle concertation pouvait-il être question quand, en ma qualité de Premier Vice-Président de l’APF et en l’absence du Président François Paradis, je devais être aux commandes ? Que faisait-on de mes droits statutaires de membre du Bureau ? Bon sang, que devenait cette APF si à cheval sur les règles ? Une APF godillot ? Je ne pouvais comprendre.

Je réussis in extremis à joindre le député Jacques Krabal, et lui posai la question :

– Qu’est-ce qui se passe, c’est à ne rien comprendre ? Et le temps qui passe ?

Certainement déjà contrarié, M. Krabal m’avoua que mon successeur posait des préalables inacceptables (nous l’allons voir tout à l’heure). En somme, je n’étais pas le bienvenu à la régionale Afrique de l’APF. L’hôte était élusif, visiblement embarrassé et vacillait pour ne pas dire tergiversait, ce qui n’arrangeait ni les affaires de M. Krabal, ni les miennes.

En cette mi-journée du 14 juin 2019, je compris subitement qu’un air de coup d’Etat flottait et se précisait dangereusement dans le ciel de la Francophonie.

J’imagine encore, rêvassant, le vaillant roi Hassan II quand il comprit un certain 16 août 1972 qu’il y’avait un danger mortel dans le ciel !

Le cerveau tourne à mille tours de l’heure et l’adrénaline monte. 

Alors, je m’empressai de m’habiller, enfilant ainsi ma tenue de combat, je décidai de prendre les devants pour déjouer la machination. Je me rendis immédiatement au Bureau de la Chambre des Représentants du Maroc où je ne tardai point à me rendre compte que les principaux responsables de l’institution m’évitaient par toutes sortes de contorsions.

-Puis-je parler à monsieur El Malki, Président de la Chambre des Représentants ou à un de ses adjoints ?

• Euh, Monsieur Soro, M. Malki est en conciliation !

• Avec qui? 

• …

Les regards étaient fuyants. Ça sentait le roussi. Lui aussi, Habib El Malki pour qui j’avais tant d’estime en raison de mes liens avec son prédécesseur mon ami Rachid Talbi Alami était-il dans la conjuration ? Tu quoque mi fili ? La célèbre et sinistre phrase de Jules César quand il vit au nombre de ses assassins son propre fils Brutus me vint à l’esprit ! Une vraie forfaiture.

Je ne pouvais plus compter sur le sieur El Malki, qui préférait avoir affaire à mes collaborateurs français du Bureau plutôt qu’au 1er Vice-président africain de l’APF ! Je m’interroge encore aujourd’hui : si j’avais été un 1er Vice-président suisse, canadien, ou belge quelle aurait été la conduite de M. El Malki ?

Je me souviens, du temps où j’étais encore Premier Ministre, de l’inégalité de traitement qui existait entre un Premier Ministre africain et un Premier Ministre occidental.

En effet, lorsqu’un Premier Ministre européen nous faisait l’insigne honneur de nous visiter dans nos pays, nous devions pointer à l’aéroport dès le matin et guetter le bruit des moteurs de l’avion jusqu’à son atterrissage. Nous devions rassembler le pauvre peuple pour chanter, danser et surtout applaudir pour témoigner et démontrer notre amour et notre attachement à sa personne.

En revanche, quand nous allions en visite en Europe, nous étions reçus par un obscur agent du protocole des Affaires étrangères. J’avais toujours trouvé cela fort humiliant. Je ne sais pas si les choses ont changé. Il en va de même lorsque le plus petit chargé de mission européen venait à visiter nos pays. Le Président de la République et le Premier Ministre étaient mobilisés pour lui accorder une audience prioritaire.

L’inverse est totalement impossible. Même nos ambassadeurs en Europe ne voient le premier magistrat des pays où ils sont affectés que le temps de la présentation de leurs lettres de créances. C’est un regrettable complexe d’infériorité que nous, africains, avons malheureusement intégré à nos coutumes diplomatiques.

Comment comprendre autrement que nonobstant ma posture de premier responsable de la Francophonie présent sur le sol marocain, l’on m’informe que le Président de la Chambre des Représentants du Maroc a organisé des conciliabules en catimini avec d’autres, tout en prenant l’étrange soin de m’en exclure ? On reçoit par contre avec faste les représentants français, qui sont mes collaborateurs du Bureau de l’APF, comme au bon vieux temps de leur Coloniale. On organise des concertations dans mon dos, et comme de juste, c’est moi qui suis visé par tous ces conciliabules de comparses venus de partout.

Que la nature humaine est étrange ! Je vis sauter dans leurs parachutes dorés et prêtés par le régime d’Abidjan, les uns après les autres, à la queue-leu-leu, la galerie de putschistes venus de pays que je ne citerai pas. Il faut dire qu’à mon insu, la nuit avait été longue. Les comploteurs avaient réussi à s’associer au Président de la Chambre des Représentants du Maroc, El Malki, pour fouler aux pieds les règles de la Francophonie et mes droits statutaires de Premier Vice-Président de l’APF.

Décidément, le fameux gros téléphone et les liasses de billets d’Abidjan avaient produit des effets. Alourdie par les moyens de l’Etat, la délégation de putschistes venus d’Abidjan croyait enfin tenir le bon bout. Des parlementaires que j’avais longtemps considéré comme des amis francophones, sautaient des aéronefs ennemis et m’abandonnaient allègrement dans le Ciel de la Francophonie.

Ce fut un spectacle ahurissant.

Une députée ouest-africaine que je croyais fort bien connaître fut d’une telle fureur hostile envers moi lors du huis-clos, que je compris l’effet impressionnant de l’argent sur l’espèce humaine. Je comprenais encore moins la suffisance d’un autre Président de l’Assemblée Nationale d’un pays ami, devenu subitement amoureux fou de mon successeur. Tout aussi remuant, l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire au Maroc, Idrissa Traoré, faisait des pieds et des mains pour le succès du putsch. Pauvre Côte d’Ivoire ! Voici donc les nègreries auxquelles notre diplomatie est réduite.

Dans toute cette escadrille de complotistes, je fus également impressionné par M. Emmanuel Maury. On le voyait faire de grands gestes dans les couloirs, suggérant ma démission du poste de Premier Vice-Président de l’APF pour, dit-il, faciliter les choses au détriment des statuts de notre organisation. 

Mais, il y eut heureusement des raisons de ne pas désespérer. Car, malgré tout l’or du monde qu’on leur avait promis tout au long de la nuit, sans oublier en prime des carrières internationales brisées qu’on leur prédestinait, des parlementaires africains dignes résistèrent à la forfaiture de la Françafrique. Certains Présidents d’Assemblées nationales africaines se dressèrent contre les putschistes ! Je salue ces consciences vaillantes et libres !

Ce qui s’est passé à Rabat relève de l’insolite et de l’humiliation. Humiliation pour toute la nation ivoirienne, humiliation pour les délégations ivoiriennes venues participer à l’Assemblée Régionale Afrique de l’APF à Rabat. Personnellement, j’en ai éprouvé une grande honte. Durant toute ma longue carrière aussi bien gouvernementale que parlementaire (2003-2019), je n’ai jamais connu ni vécu pareil déshonneur pour mon pays et pour ses représentants.

Elu le 12 mars 2012 Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, je me suis attelé, dès ma prise de fonction, à travailler au rayonnement international de notre assemblée nationale. L’état de délabrement de notre institution était tel que j’ai dû délocaliser les travaux à Yamoussoukro.

A cet instant, j’ai une pensée pieuse pour feu Maître Konaté Fakhy, alors Secrétaire Général de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire. Il fut un pilier de ce qu’il convient de nommer la Diplomatie parlementaire. En effet, c’est avec Me Fakhy que nous avons entrepris la harassante tâche de travailler à rétablir le rayonnement de notre institution parlementaire au plan international et à la réintégrer dans toutes les institutions et organisations interparlementaires dont elle avait été exclue.

Notre première démarche fut de nous fixer l’objectif prioritaire de réintégrer notre parlement au sein de la grande famille des parlements francophones. Quelques mois plus tard, nous avions tant et si bien travaillé, que le Secrétaire Général parlementaire de l’époque, M. Jacques Legendre, a accepté de nous convier à la première réunion de l’APF, à Bruxelles au mois de juillet 2012.

Nous étions alors une section suspendue mais nous avions obtenu, après négociations, le statut de membre observateur. Notre appétit sans cesse grandissant nous conduisit au cours des débats à faire un pari hardi, celui de batailler pour obtenir l’organisation, en 2013, de la 39è Assemblée générale de l’APF à Abidjan. C’était un pari risqué.

Je pris attache avec l’actuel Président du Faso, SEM Roch Marc Christian Kaboré que je connaissais de longue date, alors président en exercice de l’APF, pour qu’il accepte de faire un lobbying pour le compte de la Côte d’Ivoire. Ce qu’il fit avec bonne volonté. Je dois préciser que j’en avais également discuté avec le Président Blaise Compaoré.

Nous eûmes la plus agréable des surprises, lorsqu’à l’issue de cette plénière de Bruxelles, l’ensemble des sections internationales, dans une volonté d’aider la Côte d’Ivoire à se reconstruire, ont accepté à l’unanimité de nous confier l’organisation de la 39ème Assemblée générale à Abidjan.

C’était une responsabilité importante et il nous fallait relever le défi. C’est à peu près 400 délégués, venus de plus de 80 pays que nous devions recevoir à Abidjan. Je peux vous dire que ce ne fut point une sinécure quand on a en mémoire la longue crise qui avait secoué le pays et les dégâts que l’Assemblée nationale avait subis.

Les Ivoiriens se souviennent certainement qu’une partie de l’institution était calcinée et que l’autre partie tombait quasiment en ruines, faute d’entretien et de réhabilitation. Le Président d’institution que j’étais n’avait aucun bureau pour travailler et les députés n’étaient pas logés à meilleure enseigne.

A partir de juillet 2012, des travaux d’Hercule furent engagés pour qu’un an après, notre institution puisse se parer de ses meilleurs atours pour accueillir dignement les invités étrangers. A la cérémonie solennelle d’ouverture de cette 39ème session de l’APF à l’hôtel Ivoire, le Secrétaire Général de la Francophonie, le président Abdou Diouf lui-même ainsi que le nouveau Président de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, ont rehaussé de leurs illustres personnalités, la cérémonie d’ouverture.

Aucune section de l’APF ne voulait manquer ce rendez-vous du grand retour de la Côte d’Ivoire sur la scène parlementaire internationale. Dans une parfaite unanimité, l’Assemblée générale m’a adoubé et, ainsi, je fus élu au Bureau international en qualité de vice-président. Et depuis, ce fut une lune de miel avec l’APF.

Muni de cette confiance, l’organisation de l’Assemblée Régionale Afrique de l’APF et la Conférence des Présidents d’Assemblée d’Afrique à Abidjan et Yamoussoukro nous ont été confiés. Je me souviens qu’à la Conférence des présidents, j’ai invité le Premier Ministre de la RDC M. Augustin Matata Ponyo, qui a effectué spécialement le déplacement de Kinshasa à Yamoussoukro pour y délivrer une conférence magistrale en présence de l’actuel Président du Faso SEM Kaboré.

Les membres du bureau de l’APF ont considéré que cela relevait purement de l’exploit. A peine réintégrée, la Côte d’Ivoire occupait toute sa place, je dis bien toute sa place. C’est tout logiquement que 4 ans après, j’ai été élu à la 43ème session parlementaire au Luxembourg, 1er Vice-Président avec vocation à assumer les charges de Président de l’APF.

C’est sur cette lancée, que nous étions lorsqu’en février 2019 j’ai été amené à rendre ma démission du poste de Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. C’est alors qu’a débuté pour moi et pour la section ivoirienne de l’APF, la litanie des malheurs.

J’avoue que je ne m’attendais pas à un tel déferlement de haine et un tel degré d’acharnement de la part des hautes autorités de la Côte d’Ivoire et notamment de mon successeur au perchoir. Il était devenu évident que l’objectif des autorités ivoiriennes était de me broyer et de m’écraser, comme ils aiment à le dire eux-mêmes à longueur de journée. Après m’avoir arraché le tabouret de l’Assemblée nationale, ils s’acharnaient désormais à m’arracher la chaise de l’APF (accordons un peu plus d’égard à l’organisation internationale qu’est l’APF !).

Leur préoccupation : empêcher par tous les moyens un fils de la Côte d’Ivoire, un Ivoirien, d’accéder au poste de président de l’APF, une organisation internationale. J’étais bien loin d’imaginer qu’alors qu’en public le Président Ouattara me donnait du « Guillaume Soro est mon fils », en privé il lâchait la bride à ses ouailles enragées pour me salir et essayer par tous les moyens de me couvrir de honte, d’humiliation.

Imaginer qu’on veuille tellement « broyer » son propre fils qu’on est prêt à aller risquer d’humilier toute la Côte d’Ivoire à l’étranger et dans une organisation aussi réputée que l’APF, j’avoue que cela me paraissait inenvisageable.

Vu que j’étais l’ivoirien le mieux placé pour accéder à la présidence de cette institution internationale, même si je n’étais pas RHDP et que j’avais démissionné de la présidence de l’Assemblée Nationale pour des raisons de bonne convenance, pour moi le Président de la République aurait pris de la hauteur et aurait agi afin d’éviter le gâchis et de protéger l’image de la Côte d’Ivoire à l’extérieur en taisant nos querelles internes, pour le bien de la diplomatie ivoirienne.

C’est ce que fit à l’époque Laurent Gbagbo lorsqu’Essy Amara du PDCI était le candidat ivoirien le mieux placé pour occuper le Secrétariat général de l’Union africaine. Et les exemples sont légions.

Les autorités ivoiriennes ont choisi la voie de la discorde et de l’humiliation en poussant un Amadou Soumahoro qui, de toutes les façons, n’aurait jamais eu la possibilité d’accéder à ce poste sans passer par la case départ qui consiste d’abord à intégrer le bureau de l’APF, ensuite à accéder plus tard au poste de 1er vice-président et, dernière étape, espérer enfin, prétendre un jour à la présidence de l’APF.

La réalité est qu’aussitôt élu, mon successeur par une tournure abracadabrantesque, a pris un arrêté modifiant celui que j’avais signé accordant aux membres de la section ivoirienne de l’APF un mandat de quatre ans, ce qui correspondait à la durée de notre législature. Du fait que la section avait déjà été installée en début de législature, mon successeur ne pouvait plus interrompre les mandats de ses membres, qui représentaient l’ensemble de la coloration politique de notre assemblée nationale.

Mon successeur n’entreprit aucune discussion avec moi-même sur ce sujet, et pis encore, au mépris du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, il n’en informa aucun des membres de la section nationale de l’APF qui furent remplacés à leur propre insu. Cela contrevient aux principes de la continuité législative et aux règles de notre organisation. Les Organisation interparlementaires (OIP), généralement ne changent pas leurs sections en cours de législature. En prenant cet arrêté, il a pris le risque d’humilier l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire auprès des OIP.

La gravité de ses faits et gestes est apparue au grand jour au vu du camouflet qui lui a été publiquement infligé par le parlement de la CEDEAO et de l’humiliation qui s’en est suivie également au parlement panafricain. Etait-ce une méconnaissance des textes de loi ou la rage de vouloir effacer les traces de Guillaume Soro ? Toujours est-il qu’une chasse à l’homme avait été engagée.

Chers lecteurs, si mon successeur avait pris la peine avec sagesse de m’entreprendre, c’est sans hésitation que je lui aurais facilité l’accès à mon carnet d’adresses afin qu’il puisse continuer à maintenir le positionnement de notre parlement au sein des OIP. Je me serai même fait son défenseur acharné auprès de ces institutions, aucun sacrifice n’étant trop grand quand il s’agit de la paix et de l’image de la Côte d’Ivoire.

Mais je crois savoir que l’enjeu était ailleurs. Les ouailles qui jactent dans les coulisses, prétendent que je voudrais occuper le poste de président de l’APF pour l’utiliser comme tremplin pour ma campagne présidentielle. Ce qui, vous le subodorez bien, était totalement inconcevable pour le RHDP.

Disons-le tout net : l’élection présidentielle de 2020 s’est invitée dans le débat du rayonnement diplomatique international de la Côte d’Ivoire. Au mois d’avril 2019, une alerte m’est parvenue disant qu’il était hors de question pour les autorités ivoiriennes de me laisser gravir les marches vers la présidence de l’APF. On avait chargé mon successeur de me barrer la route à tout prix. J’étais loin d’imaginer ce lugubre scenario de coup d’Etat qui se profilait à l’horizon.

Pourtant les textes de l’APF sont précis : il n’y a aucun lien de nécessité entre la présidence d’une assemblée nationale et le poste de premier vice-président. Les deux seules conditions prévues sont la qualité de parlementaire et la non-vacance du poste. Du moment où je suis parlementaire et n’ayant pas fait acte de démission audit poste, il était impossible de m’y remplacer.

Lorsque la conférence des présidents de parlement de la région Afrique a été annoncée pour Ouagadougou, bien qu’étant le patron de la zone Afrique, j’ai demandé à mon adjoint au sein du bureau de l’APF de bien vouloir accepter de présider cette conférence.

Le chargé de mission pour l’Afrique, le député Fofana Bassatigui, doté d’un mandat international, s’y est présenté mais se verra violemment récusé par mon successeur dans ce pays étranger. Des contraintes physiques ont même été déployées pour l’empêcher d’exercer ses prérogatives, mais il a réussi à accomplir sa mission.

Malgré le désaveu de mon successeur à Ouagadougou, j’avais vraiment espéré que la sagesse prévaudrait à l’occasion de la Régionale Afrique prévue pour se tenir au Maroc. J’ai pris la précaution d’informer le bureau de l’APF que je participerai aux travaux de ladite régionale. Les autorités parlementaires marocaines furent informées de mon arrivée. Ce que je ne savais pas, c’est que le Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire avait posé des conditions à la section hôte du Maroc :

– 1 : que je n’assiste pas à la Régionale,

– 2 : que le poste de 1er vice-président lui revienne.

C’est donc avec sérénité que j’ai préparé mon voyage pour le Maroc en ignorant qu’un projet d’humiliation contre moi y avait été ourdi.

Me voilà donc à Rabat, prêt pour participer à la Régionale que je devais coprésider. Et là, je découvre le complot dans toute son ampleur.

Sachons-le, tous les présidents qui ont dirigé notre organisation, l’APF, ne sont pas forcément devenus présidents de leurs pays. Pour devenir Président de la République de son pays, il me semble que c’est la relation de confiance entre un peuple et un homme qui est déterminante. Citons quelques exemples.

Aubin Minaku a bel et bien dirigé l’APF, il n’est pas devenu pour autant le Président de la RDC. En revanche, Roch Marc Christian Kaboré qui avait démissionné de la présidence de l’APF, lui, est devenu Président de son pays. Comment alors pouvait-on imaginer que devenir président de l’APF me donnerait de facto la présidence de la République de Côte d’Ivoire ?

Le conciliabule interminable dans le bureau d’El Malki devenait gênant pour tous les participants et provoquait le blocage du démarrage de nos assises. Notre hôte s’est finalement résolu à convoquer les présidents d’Assemblée présents pour un huis clos afin d’essayer de résoudre l’embarras qui s’était emparé de lui. En matière de huis clos, les règles et pratiques universellement admises établissent que :

– soit les deux parties au conflit sont exclues des conciliabules,

– soit elles sont entendues concomitamment ou,

– enfin, elles le sont chacune à tour de rôle.

Après plus de deux heures de débat, un député marocain vint m’informer qu’une délégation du huis clos devait me faire rapport. Quand je suis entré, j’ai vu dans ladite salle les 03 Présidents des Assemblées Nationales de la Guinée Bissau, du Togo et du Gabon, ainsi que les Secrétaires généraux parlementaire et administratif de l’APF. Voici le message qu’ils avaient à charge de me soumettre. Mon successeur avait posé 03 conditions :

– 1. que je ne copréside pas les travaux,

– 2. que mon poste de 1er Vice-président lui soit octroyé

– 3. que le chargé de mission de la région Afrique ne participe point aux travaux.

Face à de telles exigences, les mandataires me firent savoir qu’en ce qui concerne le poste de 1er Vice-président, les sections à l’unanimité avaient reconnu leur incompétence à me décharger de mes fonctions. Pour ce qui est du deuxième point, ils ont également déclaré leur incompétence à relever le chargé de mission de ses fonctions. Pour ce qui est de la troisième exigence, celle de la coprésidence, ils marquèrent leur embarras. Amadou Soumahoro jurait sur tous ses grands dieux que si je coprésidais la réunion, la délégation ivoirienne ferait un esclandre et créerait un scandale dans ce pays ami.

Pour ne pas gêner nos hôtes, surtout que tous les officiels étaient présents et qu’un scandale dans la salle serait préjudiciable à l’image de notre pays, et vu la gravité de la situation, j’ai concédé de ne pas coprésider la cérémonie et de laisser les travaux se dérouler.

Par égards pour le ministre marocain des affaires africaines et tous les officiels qui étaient arrivés et que nos conciliabules interminables étaient en train de pénaliser (nous avions déjà pris deux heures de retard sur l’heure de la cérémonie officielle), le Président Habib El Malki est allé démarrer la cérémonie officielle. Sans attendre la fin de notre huis clos.

Ce qui justifie mon absence dans la salle et l’absence des trois présidents à la cérémonie d’ouverture. J‘ai demandé au Chargé de mission Afrique de me représenter à la table de séance et d’assumer mes charges.

Je me dois d’être honnête en vous disant que n’eût été l’expérience et le courage de certains Présidents d’Assemblées que je ne nommerais pas, une entorse grave à nos textes aurait pu se commettre. Les chefs de section étaient tous malheureux pour la Côte d’Ivoire. Les délégués étaient révoltés de voir mon successeur se comporter de la sorte, avec autant de hargne et de haine.

J’ai tendance à penser que c’est l’arrogance et la trop grande envie de m’humilier à tout prix en terre étrangère qui ont révolté toutes les sections et ont porté sur ma personne la sympathie qu’on a pu constater à cette réunion. J’ai pris la décision de me retirer des travaux, mais je fus sans cesse consulté et le lendemain un second huis clos a décidé d’envoyer une mission d’évaluation en Côte d’Ivoire pour s’assurer de la faisabilité de l’Assemblée générale à Abidjan, façon diplomatique de régler le contentieux. Le Secrétaire général parlementaire et le Secrétaire général administratif étaient formels ; techniquement et administrativement leurs conclusions sont que ce sommet ne pouvait se tenir à Abidjan dans les conditions de cafouillage et d’adversité qu’ils ont pu constater.

Et pourtant, nous aurions pu, nous ivoiriens, régler cette question positivement si mon successeur ne s’était pas montré aussi intraitable vis-à-vis de ma personne.

Avant de clore ce récit, j’aimerais répondre en outre à quelques questions d’actualité pendantes. Et adresser des mots de reconnaissance citoyenne.

Pourquoi avoir fait recours à des avocats du Barreau de Paris dans cette Affaire de l’APF ? J’ai recruté des avocats français parce que l’APF est une association de droit français et qui plus est, son siège se trouve se à Paris, en France. Pour une question de célérité et d’efficacité. En ce qui concerne la section nationale ivoirienne de l’APF, ce sont bel et bien des avocats ivoiriens qui seront retenus.

Serais-je en train de m’accrocher au poste de président de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie ? Si j’ai démissionné du poste de Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, il me serait encore plus facile de le faire au niveau de l’APF. D’autant plus que ce poste n’est pas rémunéré et n’accorde aucune immunité diplomatique, contrairement à celui de PAN. Donc, qui peut le plus peut le moins. Mais je me bats au nom des principes et des valeurs. Il ne sera pas dit que par complaisance, j’ai violé et mis à mal le droit et la démocratie. Il y a des combats qu’on mène pour la postérité et pour l’humanité. Ce combat, je le mène pour pourfendre la Françafrique. Et établir que le non-droit ne doit pas être la règle des relations internationales. Si en Côte d’Ivoire, on peut encore piétiner nos textes, je ne m’y résoudrai point et je n’y souscrirai jamais. Je partirai de l’APF comme mes prédécesseurs, mais dignement.

Certains disent allègrement que j’ai été expulsé par des policiers marocains ? Ce canular n’est qu’une autre incongruité pour faire du dilatoire. Dans aucun parlement du monde sauf erreur, la police n’a droit de cité dans l’enceinte de la maison du peuple. Sauf en dictature peut-être. Car alors, tout devient possible. J’ai, pour ma part, quitté les lieux à 18h30 dans ma voiture, librement.

J’apprends que certains journaux prétendraient que je n’aurais pas été invité par la section hôte. Encore une grossière confusion de genres ! Les membres du Bureau mondial de l’APF n’ont pas à être invités : ils le sont d’office. A la Régionale du Cap-Vert par exemple, ni le président Chagnon, ni moi-même n’avions fait l’objet d’une invitation particulière. Mais étant les premiers responsables, nous avons signalé notre présence qui généralement est considérée en pareil cas comme un privilège par le pays hôte des travaux.

Comment conclure ce propos sans saluer la formidable armada d’internautes citoyens qui, aux quatre coins de la Côte d’Ivoire et du monde, ont pris fait et cause pour notre combat pour la démocratie en francophonie ? Je salue la mobilisation de toutes ces consciences alertes, debout dans mon pays comme dans la diaspora, qui savent que par la solidarité de tous, se consolideront la liberté et la dignité de chacun d’entre nous !

Ainsi donc, le coup d’Etat ourdi contre moi à Rabat a échoué, comble d’ironie, comme celui qui fut ourdi dans cette même ville autrefois contre Sa Majesté le Roi Hassan II échoua en 1972. Piteusement. Echec et mat! Rabat, ville bénie, comme protégée par la Providence contre les luttes stériles, m’a également porté bonheur.

Chers lecteurs, la terre bénie de Rabat a toujours dit NON aux coups d’Etat. Je suis fort reconnaissant à Sa Majesté et à mes amis qui ont marqué de leur amitié le survivant que je suis. Je retiens aussi de cet épisode que le régime RHDP souffre manifestement du syndrome des ex-persécutés devenus persécuteurs. Comme s’il s’avérait incapable de sortir de la prison mentale de la haine et de l’aigreur qui paralysent l’intelligence de ceux qui ne gouvernent que pour nourrir leur frêle ego narcissique. On ne développe pas un pays avec l’esprit de vengeance ! Enfin, l’échec du coup d’Etat de Rabat contre mon engagement francophone indique bien que l’avenir appartient résolument aux démocrates, républicains, progressistes et humanistes africains véritables. Si nous tenons bon aujourd’hui comme hier, demain nous sourira, j’en suis convaincu.

Guillaume Kigbafori SORO

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