Notre analyse portera sur le show-biz, allusion faite à la condamnation, jeudi, des « Zougloumen » Yodé et Siro, à 12 mois de prison avec sursis et 5 millions de francs Cfa d’amende chacun.
Telle est donc la peine infligée au duo artistique pour avoir interpellé le procureur de la République sur sa manière de travailler. On se souvient que récemment il a été question de près de cent jeunes de la localité de Zatta, Sous-préfecture de Yamoussoukro, qui font l’objet de poursuites judiciaires dans l’affaire de l’adjudant de gendarmerie Sanogo trouvé calciné dans les encablures dudit village. Les enquêtes, dit le procureur, se poursuivent pour situer les responsabilités et faire la part des choses.
Mais dans le même temps, l’on l’on sait que ceux qui ont commis des atrocités inqualifiables dans plusieurs localités jusqu’à décapitation de certaines de leurs victimes, dont la tête est transformée en ballon, sont dans la nature et nullement inquiétés. Voilà la Justice de deux poids deux mesures que Yodé et Siro dénoncent comme d’autres le font sur diverses plateformes.
Où est donc l’outrage à magistrat dans l’exercice de ses fonctions ? D’ailleurs cette disposition « outrage à magistrat » peut être considérée aujourd’hui comme faisant partie des textes de loi qui consacrent et encouragent les abus et qu’il convient d’abroger. Surtout dans un monde où de plus en plus les justiciables se plaignent de leur Justice. Dès lors cette disposition devient confligène par ces temps de démocratie où la liberté d’expression ne se négocie plus.
En effet, en quoi demander au procureur d’élargir ses enquêtes à l’ensemble de tous ceux qui ont commis des exactions dans le cadre de la récente crise électorale est-il un « outrage à magistrat », une « incitation à la haine raciale et ethnique » et jette-t-il le discrédit sur une corporation ? Il ne saurait être question que le peuple se laisse bâillonner Ce sont-là des disposions évasives et fourre-tout qui sont de nature à encourager les excès et les manquements dans l’exercice de certaines fonctions.
Sauf à nous dire que les tenants de ces fonctions sont au-dessus de la loi. Si tel était le cas, il n’y aurait pas plusieurs juridictions. Car s’il y a la Cour d’Appel, la Cour de Cassation et d’autres juridictions supérieures, c’est qu’il est possible qu’un juge, en première Instance, puisse se tromper en rendant un jugement non-conforme. S’il existe le Barreau pour porter la contradiction au juge ou le renvoyer à sa copie lors d’une audience, c’est qu’il est également admis qu’on contredise un magistrat. Quoi qu’il en soit, par ces temps de libertés consacrées, il ne saurait être question que le peuple se laisse bâillonner sous quelque prétexte que ce soit.
Surtout pas par une Justice dont les deux syndicats montaient au créneau en 2018 pour en dénoncer les failles et les nombreuses immixtions qu’elles subissent de la part du Pouvoir exécutif. En faisant cette dénonciation, ces critiques, ces deux syndicats des magistrats jetaient ils le discrédit sur leur profession ? Si oui, pourquoi le procureur de la République ne les avait-il pas arrêtés pour « outrage à magistrat » ? Ou « discrédit sur une corporation.
En condamnant Yodé et Siro, même avec sursis, la Justice ivoirienne, sur instruction du procureur Adou Richard, se rend tout simplement justice. Car ces mêmes Yodé et Siro ont sorti récemment un album qui critique le président de la République dans sa politique de « rattrapage ethnique » décrété par lui-même lors d’une interview accordée en 2012 à la Rti à la veille de la fête de l’indépendance. Mais ils n’ont pas été inquiétés pour cela. Tout au plus, le porte-parole du gouvernement, Sidi Touré, avait eu à faire ce qu’il a appelé « une mise au point » en invitant les uns et les autres à aller à la source pour avoir la bonne information sur la politique gouvernementale.
Pourquoi le simple fait d’inviter le procureur de la République à élargir ses enquêtes à tous les suspects dans la crise électorale devrait valoir aux artistes un emprisonnement ? La réponse à cette interrogation nous amène à émettre deux hypothèses. La première est que l’arrestation de Yodé et Siro serait-elle un rattrapage à la suite de ce que le procureur aurait dû les arrêter dès la sortie de leur album « Héritage » et il ne l’a pas fait ? Cela voudrait dire que, depuis lors, il les attendait au tournant de sorte que cette fois-ci, il n’a pas voulu lâcher la proie. Même si cela donne un goût de simple règlement de comptes sans chefs d’accusations fondés. Attention !
Le jugement le plus Implacable est celui de l’histoire
La seconde hypothèse est que Yodé et Siro s’étant affichés comme les voix des sans-voix, toute chose qui a fait d’eux les artistes préférés de l’opposition et singulièrement du président Bédié qu’ils n’ont pas manqué, du reste, de critiquer aussi par le passé, le pouvoir voit en eux des adversaires, que dis-je, des ennemis à neutraliser. D’où la promptitude de leur arrestation, cette fois-ci, et leur condamnation par la justice dont l’opposition ne cesse de dire qu’elle est aux ordres.
Prise sous cet angle, la condamnation de Yodé et Siro se situe dans le même ordre d’idées que l’arrestation des leaders politiques, Maurice Kakou Guikahué, Pascal Affi N’Guessan et N’Dri Kouadio Pierre Narcisse, considérés comme les bras valides de Bédié. Il faut donc neutraliser tous ceux qui sont considérés comme le soutien du président du Pdci-Rda, président de la plateforme de l’opposition significative. D’ailleurs, le président Bédié a interpellé le régime Ouattara : « J’apporte tout mon soutien à ce groupe qui n’a fait que dire tout haut ce que les Ivoiriens disent bas ».
Et d’ajouter : « On ne se réconcilie pas en mettant les gens en prison. Le pays a besoin de tous ses enfants pour la vraie réconciliation ». Pour tout dire, les tracasseries judiciaires dont font l’objet les artistes Yodé et Siro sont les mêmes que subit le jeune chanteur, homme politique et homme d’affaires ougandais, Bobi Wine à l’état civil Robert Kyagulanyi Ssentamu. Pour s’être fait chantre de la sociocritique dans son pays, ce jeune de 38 ans est aujourd’hui l’idole de tout le peuple ougandais. Ce qui fait de lui le principal adversaire du président Yoweri Museveni (76 ans) pour la prochaine élection présidentielle de 2021. Il fait l’objet de toutes sortes de tracasseries même s’il passe pour être, lui aussi, un homme à frasques.
Bobi Wine (38 ans), Yodé à l’état civil Dali Djédjé Gervais (44 ans) et Siro à l’état civil Decavailles Aba Sylvain (43 ans) sont devenus de par leur savoir-faire artistique, de véritables bêtes noires des régimes frileux de leurs pays respectifs. Régimes qui ont peur de leur propre ombre tant ils se sont rendus impopulaires par leurs abus. Considérés comme les voix des sans-voix, ces jeunes artistes, à travers leurs chansons, aident les pouvoirs publics à se remettre en cause afin d’être en harmonie avec le peuple.
Hélas ! Au lieu de leur reconnaître ce mérite, les régimes, dans leur soif de pouvoir et de règne autoritaire, préfèrent leur déclarer la guerre. Question de leur dire : « Silence ! On gouverne d’une main de fer. Et d’un cœur de pierre ». Mais attention, le jugement le plus implacable est celui de l’histoire.
ABEL DOUALY
Nouveau Réveil