Alors que Donald Trump se donne en spectacle dans un rôle tragicomique pour rester au pouvoir, un autre président sortant s’accroche à son sceptre dans l’indifférence quasi générale. La Côte d’Ivoire n’a pas le rayonnement des États-Unis, mais si ce pays sombre dans le chaos, c’est tout un pan de l’Afrique qui risque bientôt de chavirer. Au lieu de détourner le regard, la France et l’Europe devraient y regarder à deux fois.
L’élection pour un troisième mandat d’Alassane Ouattara, le 31 octobre dernier, a déclenché une vague de violences inouïe. Les affrontements politiques et interethniques se multiplient. Des scènes de décapitation sont rapportées. Une cinquantaine de morts a déjà été recensée. Des milliers d’Ivoiriens prennent la fuite vers les pays voisins. Les horreurs de la guerre civile des années 2000 hantent les esprits.
L’ancienne colonie française qui fut, du temps de Félix Houphouët-Boigny, le joyau de l’Afrique de l’Ouest, riche de ses cultures de cacao et de café, est devenue incontrôlable. L’héritage du père de la nation, mort le 7 décembre 1993, a été balayé par les haines recuites d’une classe politique incapable de relever le flambeau, jouant sur les rivalités communautaires et claniques, les divisions religieuses (34 % de chrétiens pour 42 % de musulmans) et géographiques. Les taux de croissance demeurent certes mirobolants, une classe moyenne et branchée sur la mondialisation existe à Abidjan, mais la démocratie reste introuvable.
Trois hommes monopolisent la scène politique depuis près de trente ans. Henri Konan-Bédié, renversé par un coup d’État militaire en 1999, continue à briguer le pouvoir à 87 ans. Son successeur, Laurent Gbagbo, traduit devant la Cour pénale internationale de La Haye pour « crimes contre l’humanité », a été blanchi en première instance ; à 76 ans, ce politicien rusé veut aujourd’hui rentrer chez lui pour faire encore entendre sa voix. Enfin, Alassane Ouattara, 79 ans, a bricolé la Constitution pour se faire réélire président une troisième fois. Sa candidature a été facilitée, il est vrai, par la mort cet été de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, malade depuis longtemps.
L’ancien directeur adjoint du FMI, aux manières soignées et bien en cour dans les chancelleries étrangères, a donc préservé son trône avec un score fleuve de 94 % des voix. Au terme évidemment d’une campagne où il a empêché ses principaux opposants de se présenter. Ce scrutin tronqué a été dénoncé par la plupart des observateurs internationaux indépendants. Le taux de participation revendiqué par le pouvoir (54 %) serait, en fait, inférieur à 10 %. La rue crie au hold-up. Les opposants vocifèrent. Ils sont assignés à résidence…