Me Soro Brahima, qu’est-ce qui est reproché à vos clients ?
Les dix (10) clients du collectif d’avocats- dont je suis membre- ont été inculpés et placés sous mandat de dépôt le 24 décembre 2020 pour des faits de diffusion de nouvelles fausses, troubles à l’ordre public et atteinte à l’autorité de l’Etat. Le mardi 25 février 2020, ils ont été entendus individuellement et successivement sur le fond sur les faits de diffusion de nouvelles fausses. On a vu 10 personnes parce que tous ceux qui sont actuellement en détention préventive ne pouvaient pas être entendus le même jour. D’ailleurs, vous remarquerez que l’audition s’est achevée peu après minuit. Les autres seront certainement entendus à une autre date que fixera le juge.
Quelle est la suite de la procédure ?
Il s’agit maintenant, pour le doyen des juges d’instruction, d’enquêter à charge ou à décharge afin d’établir ou non si chacun de ces trois chefs d’inculpation mérite ou non qu’un procès ait lieu. C’est à la clôture de son instruction qu’on le saura. Pour l’heure, il est en train de mener les investigations.
Quel était l’état d’esprit de vos clients ?
Nos clients se portent comme on peut l’être quand on est privé de sa liberté et que les autorités pénitentiaires ont délibérément décidé de les éloigner de leurs familles. La défense des inculpés n’a pas légalement un mot à dire sur la programmation que le juge peut faire pour l’audition. Seul le juge peut expliquer le choix des personnes et le programme des auditions. Ces auditions sont une avancée parce qu’elles devraient permettre d’établir rapidement une évidence que nous rappelons à chaque fois. Nos clients n’ont rien à faire en prison car les faits pour lesquels ils sont poursuivis sont d’une vacuité sidérante. A partir de ces premières auditions, nous allons pouvoir introduire des demandes de mise en liberté provisoire pour chacune des personnes entendues sur le fond. Nous espérons qu’il y sera fait droit pour les raisons que je vous ai indiquées plus haut.
Que savez-vous des conditions de détention de vos clients ?
L’univers carcéral est généralement difficile. Sous nos tropiques, cela l’est davantage. Il est donc normal que nos clients, qui sont tous des personnalités, supportent mal la détention surtout quand ils se disent qu’ils y sont à tort. Pour preuve, certains de nos clients ont dû faire appel à leur famille qui ont financé la construction de latrines pour eux, les maisons d’arrêt et de correction dans lesquelles ils ont été transférés n’en étant pas pourvues. C’est aussi cela la réalité ivoirienne. Les détenus ont été extraits de nuit de leurs lieux de détention la veille de l’audition. Ils y sont retournés aussitôt après leur audition qui a pris fin à minuit.
La défense avait rejeté l’hypothèse de flagrant délit lors d’une conférence de presse. Maintient-elle l’argument de la détention politique ?
Nous maintenons que nos clients sont des détenus politiques non seulement en raison de leur qualité de hauts responsables politiques (députés et présidents de partis politiques) mais aussi en raison de l’extrême faiblesse, du moins de l’inexistence des charges. Mieux, il faudra se souvenir du contexte de leur interprétation pour comprendre qu’en réalité ce dossier n’existe que parce qu’il y a un désaccord politique pour règlement duquel certains ont intérêt à instrumentaliser l’appareil judiciaire pour faire plier un adversaire politique.
Quand aura lieu l’audition des autres prisonniers ?
Nous attendons la convocation des autres inculpés pour être entendus sur le fond du même chef d’inculpation. Nous espérons également que très rapidement, nos clients seront interrogés sur le fond des deux autres chefs d’inculpation. Au nom du collectif, je profite de cette occasion pour dénoncer la poursuite des arrestations et détentions arbitraires auxquelles nous assistons dans ce dossier.
Qui par exemple a été arrêté ?
A titre d’exemple, le domicile de M. Zebret Souleymane, proche supposé de M. Soro Kigbafori Guillaume, a été perquisitionné le 27 janvier 2020. En son absence, son épouse et son frère cadet, qui était de passage, ont assisté à la perquisition. Malheureusement, à la fin de cette perquisition, ce petit frère qui s’appelle Zebret Adama a été interpellé et gardé au secret depuis lors. Cela fait aujourd’hui un mois qu’il a été interpellé et n’a pas été déféré au parquet. Nous, qui sommes ses avocats, sommes empêchés de rentrer en contact avec lui. C’est une violation grave de toutes les lois nationales et internationales. Il y a également le cas du chef de bataillon Koné Ardiouman Hermann, aide de camp de Soro, interpellé depuis le 7 février 2020. Il y a donc près de 3 semaines. Aucune nouvelle de lui et impossible pour ses avocats de rentrer en contact avec lui. Il y a enfin le cas de M. Tano Koffi Bouaffo Fabrice, enlevé le 29 janvier 2020 dans les locaux de 911 security par des éléments du Centre de coordination des opérations décisionnelles (Ccdo). Depuis lors, aucune nouvelle de lui. Ces agissements sont indignes de l’Etat de droit que la Côte d’Ivoire prétend être.