Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’homme de droit porte un regard critique sur le fonctionnement la justice ivoirienne. Ange Olivier Grah encourage Guillaume Soro et ses compagnons à suivre toutes les voies de recours « pour ne pas faciliter la tâche à l’oppresseur ». Il lance également un appel aux magistrats ivoiriens. Rediffusion.

En tant que praticien du droit, quel regard portez-vous sur l’appareil judiciaire ivoirien ?

Dans le cadre d’une de mes interventions, je faisais observer que l’appareil judiciaire ivoirien était en enfer

Il est instrumentalise a un degré inimaginable. Avant le régime actuel, les choses étaient déjà loin d’être parfaites, mais aujourd’hui, on atteint les sommets de l’inimaginable, une véritable faillite morale qui s’explique en grande partie par l’inertie des syndicats de magistrats après que le nôtre ait subi les assauts les plus abominables pour le faire taire ; à la promotion de personnes indignes d’occuper les hautes fonctions à la tête des institutions judiciaires ; à l’affaiblissement du cadre légal de protection de l’indépendance de la magistrature en omettant volontairement de prendre les lois organiques relatives au statut et au Conseil supérieur de la magistrature ; une hiérarchie égoïste plus préoccupée par l’acquisition d’avantages matériels que la promotion des valeurs et principes régissant la profession ; et enfin par le comportement totalement amorphe de la quasi-totalité des magistrats gagnés par la peur ou l’indifférence devant la situation catastrophique que vit l’Institution dont ils sont les premiers animateurs. Deux situations récentes illustrent parfaitement la déchéance de la magistrature. La première est relative à la loi sur les stupéfiants qui selon le dernier conseil des Ministres est proposée par le ministère de la Sécurité.

Aujourd’hui dans notre pays, ce sont les OPJ qui rédigent les lois qui doivent être appliquées en matière pénale par les juges. La magistrature devrait avoir honte devant un tel renversement des valeurs qui voit des subordonnés qui définissent a leur place la politique de répression de l’Etat sur une question pénale.

D’autre part, les audits diligentes contre certaines sociétés d’Etat établissent la faiblesse de l’appareil judiciaire devant l’Exécutif puisque constitutionnellement, le contrôle des deniers publics appartient à la Cour des Comptes.

Que le gouvernement s’approprie les attributions de cette haute juridiction sans protestation du Conseil Supérieur de la Magistrature, ni de ses magistrats démontrent combien, elle ne bénéficie de l’autorité nécessaire pour pouvoir mener à bien ses missions. Nous constatons donc que le système judiciaire est exsangue.

Après un procès fortement critiqué pour caractère politique, la justice ivoirienne a prononcé de lourdes peines contre Guillaume Soro et ses proches. Son mouvement, Générations et peuples solidaires a été dissout. Quel commentaire faites-vous de cette décision ?

Cela n’a rien à voir avec la Justice. Ces décisions violent tous les principes présidant au procès pénal. Celui de la légalité criminelle, celui de la personnalité des peines, celui du droit à un procès équitable et a une Justice indépendante. Ces décisions sont à ranger avec certaines comme celles relatives à la condamnation du Président Laurent Gbagbo et de Blé Goudé au musée des abominations perpétrées par ce régime.

Au regard des dispositions légales, comment les partisans de Guillaume Soro peuvent-ils continuer à mener leurs activités politiques sachant que leur appareil politique a été dissout ?

Le problème n’est pas une question de légalité, tellement ces décisions constituent des abominations qui ne peuvent constituer un obstacle sur ce plan à l’activité politique de GPS et de son Président.

Le problème, c’est que la Cote d’Ivoire est dans une jungle et que ce n’est pas l’illégalité et le caractère non exécutoire qui vont constituer des obstacles aux yeux du régime pour les appliquer de façon arbitraire tant sa haine dont d’ailleurs ces décisions sont une manifestation est évidente. Il va falloir faire preuve d’ingéniosité et surtout de courage, d’endurance et de persévérance devant la loi du plus fort dont est victime GPS, son leader et ses militants.

Quand Abidjan se prépare à des fêtes de fin d’année en grande pompe

Quelles sont les possibles voies de recours à exploiter par l’ancien président de l’Assemblée nationale et ses compagnons de Générations et peuples solidaires après cette décision de justice ?

Il existe les voies de recours devant les juridictions internes comme l’appel et devant les juridictions internationales.

Justement, faire appel devant les juridictions nationales, n’est-ce pas là une démarche qui justifierait cette décision de la justice ivoirienne dont la légalité est contestée ?

Ne pas utiliser les voies de recours serait une erreur et facilitera la tâche aux oppresseurs. Je comprends que pour certaines personnes, user des voies de recours internes donnent l’impression qu’on accorde un certain crédit au système mais il faut voir les choses autrement. D’abord sur le plan international, l’exercice de certains recours, exige qu’on ait épuisé les voies de recours. D’autre part il ne faut pas faciliter la tâche aux oppresseurs en leur permettant de ne pas se soumettre à une obligation de justifier leur forfaiture. Les contraindrais à s’enfoncer davantage permet par ailleurs les moyens invoqués devant les juridictions internationales.

La Côte d’Ivoire a retiré à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, sa déclaration de compétence en 2020, suite à une décision en faveur de Guillaume Soro. Comment avez-vous vécu cela ?

Le retrait de la Cote d’Ivoire participe de la volonté des autorités ivoiriennes, comme celles des autres pays qui l’ont fait également, de priver leurs citoyens de la possibilité d’échapper à une justice aux ordres. D’autre part, c’est la manifestation du mépris qu’ils ont de la justice et de Juges africains a qui ils dénient le droit d’être indépendants. Combien de pays africains se sont retirés de la CPI ou des juridictions des Nations Unies? C’est tout simplement pitoyable de ses partisans ainsi que Akossi Bendjo, cadre du Pdci. Au même moment l’on assiste à un durcissement du ton contre l’un des acteurs majeurs de la scène politique. N’est-ce pas là un pas qui fausse le processus de réconciliation en cours?

Je ne sais pas pourquoi on essaie d’interpréter ces actes qui servent justes l’intérêt politique de leurs auteurs comme des actes de réconciliation. Ce que les personnes qui sont contraintes a l’exil subissent, singulièrement le Président Guillaume Soro et sa formation politique prouve qu’il n’en n’est rien. Les actes de réconciliation ne s’interprètent pas, ce sont les manifestations de la volonté mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie dont les étapes et les finalités sont définies.

Ce n’est pas le cas. Ne nous laissons pas abuser par des actes apparemment d’apaisement qui ne sont en réalité que des moyens de se soustraire de pressions qui deviennent top forte. Lorsque que KKB aura fini sa balade et consentira a s’asseoir pour réfléchir a un véritable plan de réconciliation, alors je changerai d’avis

En tant que magistrat, quel message avez-vous à l’endroit des animateurs de l’appareil judiciaire Ivoirien ?

Je leur dis que l’usage qui est fait aujourd’hui de l’appareil judiciaire et la place prépondérante qu’il occupe dans le sentiment général d’oppression et d’injustice doit faire prendre conscience à tous les animateurs de la nécessité de revenir au respect principes et valeurs qui président à l’exercice de nos différentes professions.

Je ne veux pas principalement la posture de ceux qui trahissent leur serment, mais plutôt adopter celle d’un soutien de ceux qui refusent de le faire pour les inviter a tenir et si possible à faire mieux que de tenir en s’engageant avec moi dans la rédemption d’un système qui en a plus que besoin pour l’espoir d’une certaine qualité de vie pour les populations

Générations nouvelles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *