Charles Blé Goudé s’est adressé, ce lundi 13 décembre 2021, à La Haye, aux juges en charge de la procédure relative à son indemnisation suite à son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI). Dans son plaidoyer, l’ancien chef de la galaxie patriotique, acquitté en appel le 31 mars dernier, revient sur son clavaire en prison et souhaite, en plus du rétablissement de ses droits et de sa vie, l’implication de la CPI dans la facilitation de son retour en Côte d’Ivoire.
Blé Goudé à la CPI : « C’est votre devoir de me faire repartir en Côte d’Ivoire »
Je suis Charles Blé Goudé, je suis natif de Guiberoua, la Côte d’Ivoire est mon pays, l’Afrique est mon continent. Le droit est mon socle, la loi mon dossard. Honorables juges. Je ne connais pas les juges qui m’ont acquitté en première instance, pas plus que je ne connais ceux qui m’ont définitivement acquitté en appel le 31 mars dernier. Seule la loi m’a sorti de prison et c’est à cette loi-là que je voulais avoir recours cet après-midi pour demander réparation.
POURQUOI ?
Huit ans !!! Huit ans de ma vie m’ont été arrachés, m’ont été mangés. Je n’ai pas dit huit jours, je n’ai pas dit huit semaines, je n’ai pas dit huit mois, je parle de huit ans de privations, huit ans de traumatisme, huit ans de désocialisation.
Pendant 8 ans, j’ai été présenté au monde entier comme un criminel. Mesdames et messieurs les juges, J’ai été arrêté au Ghana sans même qu’on me présente un avocat, en violation de mes droits élémentaires. J’ai été extradé, nuitamment en Côte d’Ivoire en exécution de votre mandat. J’ai été détenu pendant quatorze mois en isolement, sans voir ni le jour ni le soleil, en exécution d’un mandat d’arrêt de la CPI.
J’ai été transféré en mars 2014 en exécution du mandat d’arrêt de la CPI et pendant six ans j’ai fait l’objet d’un procès ici et j’ai été acquitté. Pendant toutes ces années, vous pouvez imaginer que mes enfants ont dû fuir les regards de leurs camarades à l’école parce qu’ils étaient les enfants d’un criminel, ces enfants qui ont été traumatisés, qui ont grandi sans leur père que je suis, qui ne savent que dire « Maman » aujourd’hui parce que papa n’a jamais été là.
Mesdames et messieurs les juges, cela a été un moment difficile pour moi et pour mes proches. Lorsque j’ai été acquitté, j’étais heureux parce que pour moi, c’était la fin d’un calvaire, or je m’étais lourdement trompé. Mon calvaire se poursuit aujourd’hui et continue. Alors que la CPI a eu les moyens et l’autorité, le pouvoir d’enclencher la clause de coopération qui la lie à mon pays, la Côte d’Ivoire, coopération au nom de laquelle un avion a été affrété spécialement pour me transférer à la CPI,
Me faire voyager sans visa, sans passeport depuis mon acquittement, la même CPI ne peut plus enclencher la même clause de coopération pour m’obtenir ne serait-ce qu’un passeport, ne serait-ce qu’une identité. Aujourd’hui le citoyen Blé Goudé est devenu un apatride. Aujourd’hui, je suis même en train de perdre ma citoyenneté ivoirienne. Mais, si la CPI peut faire arrêter aujourd’hui quelqu’un, si elle peut le transporter, le transférer, le faire juger au nom d’une clause de coopération, la même CPI peut également rétablir , réhabiliter…
« Aujourd’hui, je suis même en train de perdre ma citoyenneté ivoirienne »
C’est pour tout cela que je suis devant vous aujourd’hui, pas forcément pour réclamer de l’argent parce-que le préjudice que j’ai subi représentera toujours plus que de l’argent ; c’est ma dignité, c’est mon image, c’est ma construction… Ce que j’ai perdu est énorme et ce que je continue de perdre est énorme. Savez-vous qu’il m’est quasiment impossible d’accéder à des services publics ici aux Pays-Bas ?
Même le vaccin contre la COVID-19 qu’on encourage tout le monde à faire, j’étais dans l’incapacité de le faire ; ma demande à ce propos, introduite devant le greffe de la CPI y est encore pendante. Je n’ai pu le faire que par le truchement d’une de mes concitoyennes ici aux Pays-Bas. Mais je ne peux avoir de QR code pour le faire reconnaître parce que je n’existe pas en tant que citoyen. Voilà ma triste réalité que j’expose aujourd’hui devant vous, celle d’un homme voué à une mort civile.
Mesdames et messieurs les juges, il faut que je recommence tout, parce que ma vie a été bouleversée, ma vie a été chamboulée, Ma vie a été suspendue et je ne peux même pas me projeter, ma famille non plus ne peut se projeter. Mais que vaut un homme qui ne peut pas se projeter ?
C’est pourquoi je suis devant vous cet après-midi pour que vous puissiez mesdames et messieurs les juges me rétablir dans mes droits, dans ma personnalité, dans ma vie, pour que je puisse me reconstruire, in fine pour que je puisse rentrer en Côte d’Ivoire. C’est votre devoir de me faire repartir en Côte d’Ivoire, vous en avez l’autorité, vous en avez le pouvoir, vous en avez le devoir.
Et j’ai dit
Je vous remercie.