Le mandat d’arrêt international émis le 23 décembre par la justice ivoirienne à l’encontre de l’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, rappelle que le logiciel politique en Côte d’Ivoire n’a guère évolué depuis vingt ans. Comme une vieille arme politique, cette procédure judiciaire a été chaque fois ressuscitée et utilisée, sous Henri Konan Bédié, Robert Guei et maintenant sous Alassane Ouattara, pour tenter de neutraliser l’adversaire.
Au journal de 20H du lundi 23 décembre de la RTI (télévision publique), le procureur de la République Richard Adou apparait et annonce un mandat d’arrêt international contre Guillaume Soro, candidat déclaré à la présidentielle d’octobre 2020, “pour tentative d’atteinte contre l’autorité de l’Etat et l’intégrité du territoire’’.
En séjour depuis six mois en Europe, d’où il avait annoncé sa volonté d’être candidat à cette élection, ce dernier qui tentait, un peu plus tôt, dans l’après-midi, de regagner Abidjan, avait finalement dû interrompre son voyage à Accra avant de revenir en France. Désormais contraint à l’exil, ses ambitions présidentielles sont pour l’heure compromises.
Si l’annonce du procureur de la République a fait l’effet d’un mini-séisme et contribue sans risque de se tromper à crisper davantage le contexte politique déjà tendu, elle présente pourtant des airs de déjà vu et entendu tant les similitudes avec d’autres cas précédents sont captivants.
Le recours à cette procédure judiciaire a débuté sous l’ancien chef de l’Etat Henri Konan Bédié. En novembre 1999, au plus fort du débat sur la nationalité et l’éligibilité à la présidence de la République de l’opposant d’alors Alassane Ouattara, contre qui un mandat d’arrêt international pour “faux et usage de faux’’ concernant ses pièces d’identité avait été lancé par un juge d’instruction du tribunal d’Abidjan.
Quatre mois plus tôt, Alassane Ouattara avait été intronisé candidat à la présidentielle d’octobre 2000 par son parti, le Rassemblement des républicains (RDR).
A la suite d’un coup d’Etat militaire en décembre 1999, le général Robert Guei accède au pouvoir. Six mois après, un mandat d’arrêt international pour “détournement de fonds publics’’ à l’encontre d’Henri Konan Bédié, alors en exil en France, est annoncé par le procureur de la République Omer Doué.
Pour Marcel Dezogno, journaliste politique, l’usage devenu presque systématique du mandat d’arrêt par les différents pouvoirs en Côte d’Ivoire (hormis celui de Félix Houphouet-Boigny et Laurent Gbagbo) est “une stratégie utilisée à dessein pour affaiblir l‘opposition’’
“Ce sont des abus que rien ne justifie’’, estime-t-il.
Les mandats d’arrêt contre Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Guillaume Soro ont en commun d’être intervenus dans des contextes politiques tendus, à quelques mois d’une élection présidentielle. Les deux premiers n’ont jamais prospéré mais ont au final empêché les mis en cause à se présenter à l’élection.
Le 29 décembre, dans une interview accordée au Journal du dimanche (JDD), Guillaume Soro se réjouissait pratiquement que le mandat à son encontre, ne puisse pas “opérer’’ en raison de son caractère “politique’’
“Ce mandat n’est pas fondé sur le droit, mais simplement fait pour empêcher un candidat d’accéder à la tête de son pays. Il ne peut donc pas opérer puisqu’il est politique’’, avait-il affirmé.
“La plupart des pays européens qui défendent les droits de l’homme refusent d’ailleurs d’appliquer ce genre de mandat’’, avait expliqué, dans les colonnes de l’hebdomadaire français, Guillaume Soro, placé aujourd’hui, comme Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié avant lui, devant un choix éminemment politique: l’exil en France ou la prison en Côte d’Ivoire.
Pour le journaliste Sylvain Debailly, l’efficacité de cette procédure judiciaire reste en fin de compte problématique pour le pouvoir. “Elle contribue beaucoup plus à augmenter la popularité de l’opposant visé’’, analyse-t-il.