Frappée par une attaque terroriste d’envergure le 13 mars 2016 à Bassam, la Côte d’Ivoire n’a visiblement pas su tirer les leçons de ce drame qui a fait plus de vingt morts. La seconde attaque de ce jeudi 11 Juin, lève un coin de voile sur les failles d’un système clanique dont les principaux acteurs sont le président Alassane Ouattara et son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.
12 militaires ont perdu la vie et plusieurs ont été blessés ce jeudi 11 Juin dans une attaque menée contre un poste-frontière à Kafolo, près de la frontière du Burkina Faso. La nouvelle, telle une traînée de poudre, a suscité la panique au sein d’une population ivoirienne qui lutte déjà péniblement contre la pandémie du coronavirus. Comment les autorités ivoiriennes ont-elles pu ne pas anticiper ce genre d’attaque alors que le Gouvernement a injecté plusieurs dizaines de milliards de francs CFA dans la lutte contre le terrorisme ?
Pour en savoir un peu plus sur les failles du système, LSI AFRICA a pu interroger plusieurs acteurs impliqués dans cette lutte, qui, séparément, ont tous montré du doigt les mêmes responsables d’une situation qui pourrait provoquer la chute du régime d’Alassane Ouattara.
Les renseignements, une affaire de népotisme
La lutte contre le terrorisme devrait cesser d’être un slogan en Côte d’Ivoire, s’accordent à dire tous les officiers supérieurs de l’armée ivoirienne que LSI AFRICA a pu interroger sur les bords de la Lagune Ébrié. En piquant une colère noire ce jeudi lorsqu’il a découvert le bilan de l’attaque de ce jour, le Président Alassane Ouattara vient probablement de se rendre compte du manque d’anticipation de ses services de renseignements et des failles de son système chiffré à plusieurs dizaines de milliards de francs CFA. En Côte d’Ivoire, la Coordination nationale du renseignement (CNR) est dirigée par Vassiri Traoré, un Haut fonctionnaire formé à l’École nationale d’administration du pays, qui rend directement compte au chef de l’État et à son petit frère, le ministre des Affaires présidentielles, Téné Birahima Ouattara, surnommé « Photocopie ». Ce dernier garde un œil sur les adversaires potentiels de son frère et n’hésite pas à utiliser les moyens de l’État pour quelques règlements de comptes politiques. En Côte d’Ivoire, le patron de la CNR est aussi un cousin des frères Alassane et Téné Birahima Ouattara. L’assistant de ce dernier s’appelle Yaya Ouattara, un autre cousin du Président ivoirien. Selon le commandant I.D, qui a souhaité garder l’anonymat, « au lendemain de l’attaque de Grand Bassam, plus de milliards avaient été débloqués par le Président Ouattara pour renfoncer la surveillance du territoire, mais quatre ans plus tard, ces fonds ont servi à quoi ? Je ne sais pas », a-t-il déclaré totalement dépité. Le mécontentement et la colère qui gagnent les rangs du commandement ivoirien trouvent leur origine essentiellement dans l’incompétence notoire, le manque de coordination au sein des services de renseignements.
Amadou Gon Coulibaly, une CNR bis !
Pour le Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly, les questions de renseignements constituent aussi une histoire de famille. Le dauphin du Président ivoirien n’a pas lésiné sur le moyens pour se doter d’un département de renseignement disposant d’équipements de dernière génération. Il a su positionner à des postes clé plusieurs membres de sa famille. Son frère cadet, le colonel Ibrahima Gon Coulibaly, est actuellement le patron de la garde présidentielle, le GSPR (Groupement de Sécurité du Président de la République). Adama Coulibaly, est un cousin du Premier ministre, qui avait suscité l’indignation en s’exhibant nu dans une sextape qui a fait le tour de la planète web. Alors que beaucoup avaient espéré une sanction en son temps, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly a décidé au contraire de renforcer les pouvoirs de son cousin en mettant à sa disposition des moyens colossaux et des équipements de pointe. Un autre cousin du Premier ministre occupe un poste stratégique. Amadou Coulibaly, surnommé Petit Amadou ou AMS, est le patron du contre-espionnage ivoirien depuis quelques années, nommé par le Président Ouattara. Ces deux unités de renseignements aux mains des familles Gon Coulibaly et Ouattara en Côte d’Ivoire, qui ne travaillent malheureusement pas en synergie, sont en réalité utilisées pour surveiller les faits et gestes des adversaires politiques du Président ivoirien et de son Premier ministre en lieu et place de leurs missions originelles.
Alassane Ouattara…des promesses…
L’attaque de ce 11 juin met à mal les promesses du Président ivoirien fin décembre 2019. Lors de son adresse à la Nation, Alassane Ouattara avait promis : « un effort substantiel sera consacré au domaine du Renseignement qui nécessite des investissements importants, compte-tenu des menaces internationales. Il s’agira de faire du renseignement une priorité budgétaire et opérationnelle cohérente, en relation avec les pays amis qui sont disposés à nous apporter leurs expériences et les technologies adaptées aux nouvelles menaces » a assuré Alassane Ouattara. Pour l’année 2020 et les années à venir, le Président ivoirien s’est engagé devant les corps constitués « à assurer la sérénité, la tranquillité et la paix à toutes les populations vivant en Côte d’Ivoire », une promesse dont la concrétisation reste attendue dans les rangs de l’armée ivoirienne.
Avant la création du CNR, le ministère de l’Intérieur, dirigé par Hamed Bakayoko, jouait aussi un rôle important dans le domaine des renseignements. Depuis la nomination de ce dernier au ministère de la Défense, ses successeurs, moins influents dans l’appareil de décision se plient au bon vouloir des proches du Président de la république et de son Premier ministre. Hamed Bakayoko n’a pas non plus obtenu des résultats probants depuis. Dans les rangs de l’armée, plusieurs officiers estiment que l’actuel Premier ministre par intérim n’a rien fait pour changer leurs conditions de travail. Les budgets alloués aux forces de Défense et de sécurité font souvent l’objet de « coupures » injustifiées. Seuls les prestataires du ministère de la Défense se frottent les mains avec les surfacturations les plus farfelues lors des commandes des équipements.
Ousmane Diaby habite à Azopé. Cet ancien militaire reconverti dans l’agroalimentaire a une lecture plus pragmatique de la situation sécuritaire de la Côte d’Ivoire : « les renseignements en Côte d’Ivoire, ce n’est ni pour nos institutions ni pour protéger notre pays, mais bien pour se surveiller et servir ses intérêts personnels. « Photocopie » ( surnom du frère du Président Ouattara) surveille les adversaires politiques du président ADO et tout ceux qui pourraient avoir des ambitions comme Guillaume Soro, Hamed Bakayoko. Amadou Gon, lui, surveille les faits et gestes des opposants et surtout Hamed Bakayoko dont il est convaincu des ambitions présidentielles. Et tous les moyens de surveillance sont payés par le pauvre contribuable ivoirien », a t il indiqué très satisfait d’avoir troqué son treillis contre une plantation de cacao.
Quelques heures après l’attaque terroriste de ce jeudi, Hamed Bakayoko, impliqué selon Vice media dans un scandale de trafic de drogue, a promis une riposte de l’armée ivoirienne et tenté de rassurer les populations. Pour les experts en matière de sécurité, l’heure devrait être, pour les autorités ivoiriennes, celle de la coordination du renseignement et non de la communication. Malheureusement, les services qui disposent de plus de moyens sont dans les immeubles huppés de la capitale économique Abidjan, pendant que ceux qui n’en disposent pas et qui obtiennent de meilleurs résultats continuent de payer le lourd tribu. Alassane Ouattara devra rassurer son armée dans les prochaines semaines, remobiliser ses troupes et définir les priorités des services de renseignements aux mains de ses proches qui s’en servent plus pour des règlements de comptes politiques, que pour protéger les paisibles populations.
Source de l’information Avec lsi-africa.com