La requête a fait l’effet d’une petite bombe dans la grande salle de la cathédrale Saint Paul d’Abidjan ce lundi 30 décembre 2019. Même si elle a arraché des applaudissements nourris, elle n’aura pas manqué d’interloquer plus d’un, tant la demande, pour le moins frontale, de Jean Pierre Cardinal Kutwa, archevêque métropolitain d’Abidjan, paraissait osée.

Il est en effet un peu plus de 19h lorsque dans son homélie de passage de 2019 à 2020, chef de l’église catholique de Côte d’Ivoire lance cet appel au président Alassane Ouattara, présent à cette messe de la paix. « La paix que nous recherchons est également chemin de réconciliation dans la communion fraternelle. Au nom donc de cette réconciliation, je demande humblement à vous, M. le président de la République, vous qui détenez le pouvoir de la grâce présidentielle, de bien vouloir accepter de faire sortir du cachot tous ceux qui ont été arrêtés, suite aux derniers événements que connaît notre pays. Comme dit le Pape, l’on obtient autant qu’on espère. Je prie Dieu, qu’ensemble nous aspirions de toutes nos forces à la paix et Dieu nous l’accordera », peut-on lire dans l’avant-dernier paragraphe de son message.

Nous étions le 30 décembre, et les derniers événements qui ont conduit à des mises au cachot, sont ceux relatifs au retour manqué de Soro le lundi 23 décembre. Alors qu’il est lui-même accusé d’atteinte à la sûreté de l’État, plusieurs cadres du mouvement politique de l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, dont des députés de la nation, sont soupçonnés de trouble à l’ordre public. Ils sont en ce moment en prison. L’appel du cardinal, une semaine après, concernait justement ces événements. Le ton courtois et très révérencieux, empreint de l’orthodoxie catholique, n’enlève rien cependant au caractère direct de la demande.

Le large écho fait de la requête de Jean Pierre Cardinal Kutwa le lendemain par la presse, témoigne d’ailleurs de son impact sur le processus politique actuel. Lequel ne laisse pas grande place, pour l’heure, à la sérénité et la quiétude. L’église catholique de Côte d’Ivoire l’a compris ainsi. Elle est d’ailleurs habituée à faire connaître sa position sur les questions brûlantes de l’actualité. Pour ce dernier appel de 2019 à l’endroit du chef de l’État, et qui n’a pas encore reçu de réponse, le message du Cardinal, selon des sources proches de l’église, aurait fait l’objet de tractations et subi quelques changements de dernière minute visant à l’adapter au contexte du moment.

L’intervention des prêtres. Ces sources indiquent en effet que l’homélie du chef de l’église catholique pour ce 30 décembre est quasiment achevée, lorsque surviennent les événements du 23 décembre, notamment l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État, assortie d’un mandat d’arrêt international contre Guillaume Soro. Fallait-il les prendre en compte ou non ? La question préoccupe le prélat. Il invite alors un certain nombre de prêtres à une séance de travail. Il leur fait part de sa préoccupation et sollicite leurs avis. Chaque prêtre présent à cette rencontre apporte son idée. Quelques-uns estiment que l’affaire est encore toute chaude et qu’il faudrait prendre le temps de l’analyser avant de se prononcer. Ce, d’autant plus qu’elle est portée devant la justice et que des enquêtes sont en cours.

D’autres, la majorité, pensent qu’il faut au contraire battre le fer pendant qu’il est chaud, et qu’il s’agira tout simplement de donner l’avis de l’église sur un sujet de l’actualité brûlante. Ces derniers font remarquer, selon nos sources, que ces récents événements n’augurent rien de bon pour le pays qui amorce une année électorale redoutée. Et que les tensions politiques actuelles rappellent la douloureuse crise post-électorale qui a fait, officiellement 3000 morts.

Pour eux, le pays ne devrait plus basculer dans une telle crise, et pendant qu’il est encore temps, il faut œuvrer dans le sens de l’apaisement. Dans un mouvement d’ensemble, les prêtres décident alors d’adresser cette requête au chef de l’État et de l’inclure dans le message du Cardinal. Ce qui a été fait, à l’avant-dernier paragraphe.

Par ailleurs, apprend-on, cette interpellation directe du chef de l’État sur la question des pro-Soro emprisonnés, est fortement critiquée dans les couloirs de la présidence de la République. La sortie du prélat crée un malaise et suscite même la colère, et pour bien des raisons évoquées. C’est que le procureur de la République Richard Adou a ouvert une information judiciaire sur des soupçons d’activités subversives avec comme principal suspect Guillaume Soro.

Certains de ses proches ont été arrêtés et mis en prison. Des éléments de preuve, notamment une bande sonore évoquant un projet de déstabilisation, ont été présentés. L’enquête, toujours selon le procureur, suit son cours, les accusés bénéficiant de la présomption d’innocence. Par conséquent, on s’explique difficilement au palais, l’empressement à réclamer la libération des pro-Soro.

On estime plutôt ici que l’église catholique de Côte d’Ivoire ne devrait pas entrer de cette façon dans cette crise politico-judiciaire. Ses dignitaires seraient plus appréciés dans un rôle de go between plutôt discret pour faire baisser la tension au sommet de l’État. Il est d’ailleurs soupçonné une rencontre prochaine entre le chef de l’État et le Cardinal pour dissiper l’atmosphère morose créée par cette affaire.

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